Contexte
L’appel à la reconnaissance de l’apartheid de genre comme crime contre l’humanité est apparu pour la première fois dans les années 1990, lorsque des expert.e.s des Nations Unies ont signalé la création, par les Talibans, d’un régime constituant un « véritable apartheid […] à l’encontre des femmes ». Pourtant, aucune mesure concrète n’a permis d’inscrire ce crime dans le droit international, laissant subsister un vide persistant dans la mise en œuvre du principe de responsabilité pour ses survivant.e.s et victimes.
L’apartheid de genre est unique de par son caractère institutionnalisé et son élément intentionnel : il vise non seulement à discriminer un groupe en raison de son identité de genre au moyen d’actes inhumains, mais également à établir et maintenir un système de domination et d’exclusion totale de ce groupe de la vie sociale, économique, culturelle et politique d’un pays.
Le retour au pouvoir des Talibans en 2021 a souligné l’urgence de reconnaître l’apartheid de genre. À travers l’imposition de lois étatiques et de pratiques institutionnalisées, les femmes et les filles afghanes n’ont pas accès à l’éducation, à l’emploi, aux soins de santé, elles sont exclues de toute participation à la vie politique et de toute forme d’engagement public. Elles sont privées de l’exercice de leurs droits humains et ne peuvent pas disposer librement de leur corps, ni être décisionnaires de leur propre vie.
Les défenseures des droits des femmes en Afghanistan et en Iran sont à la tête de la campagne mondiale pour la reconnaissance de ce crime à travers l’initiative End Gender Apartheid. Leur exigence est claire : la communauté internationale doit codifier l’apartheid de genre comme crime contre l’humanité et prendre des mesures décisives pour démanteler et prévenir l’apartheid de genre.
Les parlementaires peuvent jouer un rôle essentiel dans le plaidoyer en faveur de la reconnaissance et de la codification de l’apartheid de genre comme crime en droit international, ainsi que dans la promotion de la solidarité et du soutien aux voix des femmes afghanes et iraniennes.
Qu’est-ce que l’apartheid de genre ?
Le crime d’apartheid, intrinsèquement lié à l’histoire de l’Afrique du Sud, est reconnu au niveau international comme un crime contre l’humanité. La Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid et le Statut de Rome de la Cour pénale internationale le définissent comme des actes inhumains commis dans le cadre d’un régime institutionnalisé d’oppression systématique afin d’instituer ou d’entretenir la domination d’un groupe racial sur n’importe quel autre groupe. Mais ces instruments n’étendent pas le concept aux formes d’apartheid qui seraient fondées sur le genre.
Des expert.e.s de l’ONU et des défenseur.e.s des droits humains ont pourtant documenté des persécutions et violations fondées sur le genre dans des pays comme l’Afghanistan et l’Iran, où les mêmes mécanismes étatiques, coordonnés et institutionnalisés sont utilisés pour opprimer un groupe spécifique en raison de son genre. De fait, ce groupe spécifique est exclus et séparé de la vie sociale, économique, culturelle et politique du pays. En Afghanistan, l’élimination des droits et libertés des femmes et des filles, imposée par les lois, politiques et pratiques des Talibans, reflète ainsi un système d’apartheid fondé sur le genre.
La définition actuelle du crime d’apartheid dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale pourrait donc être adaptée afin de reconnaître l’apartheid de genre, conceptualisé comme : « des actes inhumains commis dans le cadre d’un régime institutionnalisé d’oppression systématique et de domination d’un groupe de genre sur tout autre groupe de genre ou tous autres groupes de genre et dans l’intention de maintenir ce régime ».
Pourquoi est-il important de reconnaître et de nommer l’apartheid de genre ?
En droit international, le crime d’apartheid de genre n’est actuellement pas reconnu. Bien que certains outils juridiques, tels que le crime de persécution fondée sur le genre, permettent de sanctionner les violations graves privant les individus de leurs droits en raison de leur genre, ils ne prennent pas en compte la nature systématique, étatique et institutionnalisée de l’apartheid de genre. Ils ne reflètent pas non plus l’intention spécifique de maintenir un régime de domination, qui est un élément distinctif de l’apartheid par rapport aux autres crimes contre l’humanité.
Dans la lutte contre l’impunité, les crimes doivent être nommés, définis et codifiés afin de garantir que les auteur.ice.s soient tenu.e.s pour responsables, que les victimes et survivant.e.s obtiennent justice et réparations, et que de futures violations soient évitées. Sans codification juridique, le cycle de violence ne peut être rompu, laissant les victimes et survivant.e.s sans recours et perpétuant un déficit dans la mise en œuvre du principe de responsabilité.
La reconnaissance de l’apartheid de genre comme crime contre l’humanité viendrait compléter les dispositions existantes relatives aux crimes et violations des droits humains fondés sur le genre, tout en créant un cadre juridique plus solide pour tenir pour responsables les régimes cherchant à effacer les femmes et les filles de la vie sociale, économique, culturelle et politique d’un pays.
Évolutions en cours et possibilités de reconnaissance de l’apartheid de genre
Le leadership des défenseur.e.s des droits des femmes afghanes et iraniennes a donné un nouvel élan à la codification de l’apartheid de genre comme crime contre l’humanité. Le terme est désormais de plus en plus utilisé par les expert.e.s, les organisations de la société civile, les parlementaires et d’autres parties prenantes, créant une fenêtre d’opportunité unique pour le faire reconnaître en droit international.
1) La Convention sur les crimes contre l’humanité
L’opportunité la plus immédiate et la plus concrète réside dans les négociations en cours sur une nouvelle Convention des Nations Unies sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité, au sein desquelles les États pourraient veiller à ce que l’apartheid de genre soit explicitement reconnu et défini. Ce processus requiert un soutien politique fort pour éviter que l’apartheid de genre ne soit écarté. En novembre 2024, les États ont adopté une résolution mandatant la convocation d’une Conférence de plénipotentiaires en 2028 puis en 2029, pour négocier le texte final de la Convention en vue de son ouverture à la signature et à la ratification. En 2026, un comité préparatoire examinera les projets d’articles et les propositions d’amendements, offrant ainsi une occasion de plaider pour l’inclusion de l’apartheid de genre dans la Convention.
2) Amender le Statut de Rome
Une voie parallèle pour inclure l’apartheid de genre comme crime international consiste à amender le Statut de Rome de la Cour pénale internationale, conférant à la Cour le mandat d’enquêter sur ce crime et de poursuivre ses auteur.ice.s — reconnaissant ainsi la responsabilité pénale individuelle pour la commission de ce crime. Cette démarche, cependant, pourrait être longue et nécessite une volonté politique : tout État partie au Statut de Rome peut proposer des amendements, mais ces derniers doivent ensuite être adoptés par consensus ou à la majorité des deux tiers des États parties lors de l’Assemblée des États parties ou d’une conférence de révision. À ce jour, aucun amendement formel n’a été proposé sur cette question. Il est donc crucial d’ouvrir le débat parmi les États parties et les inciter à faire preuve de leadership pour faire avancer la reconnaissance de l’apartheid de genre dans le système du Statut de Rome.
3) Collecte de données en lien avec les Objectifs de développement durable
Pour garantir un contrôle et la mise en œuvre efficace du principe de responsabilité, les parlementaires devraient appeler à un suivi systématique des indicateurs permettant de révéler l’ampleur et l’impact de l’apartheid de genre, dans le cadre des Objectifs de développement durable (ODD). Ces indicateurs incluent : l’accès à l’éducation (ODD 4), en particulier l’inscription et la fréquentation des filles aux niveaux secondaire et supérieur ; la participation des femmes à la population active et l’accès à un travail décent (ODD 8) ; les restrictions à la liberté de mouvement, y compris l’application de la tutelle masculine et des codes vestimentaires obligatoires (ODD 5 et ODD 16) ; et la fréquence des punitions, arrestations et technologies de surveillance utilisées pour imposer la ségrégation fondée sur le genre (ODD 9 et ODD 16). En collectant et en publiant des données sur ces indicateurs, les parlements peuvent à la fois identifier les domaines où l’oppression systémique persiste et évaluer les progrès réalisés vers l’égalité de genre au titre de l’ODD 5.
À l’approche de l’Assemblée générale des Nations Unies de septembre 2025 à New York, les parlementaires disposent d’une occasion opportune pour plaider en faveur de l’intégration de ces indicateurs dans les cadres mondiaux de suivi, renforçant ainsi le consensus et la mise en œuvre du principe de responsabilité à l’échelle internationale afin d’éliminer l’apartheid de genre.
Que peuvent faire les parlementaires ?
Les parlementaires peuvent ouvrir des débats sur l’apartheid de genre pour placer la question au sommet des agendas nationaux et internationaux et adopter des recommandations en faveur de sa codification juridique et de sa reconnaissance mondiale. En tant que parlementaire, vous pouvez :
Plaider pour la reconnaissance et la codification de l’apartheid de genre :
- Demander à votre gouvernement de soutenir l’inclusion de l’apartheid de genre dans le projet de Convention des Nations Unies sur les crimes contre l’humanité.
- Demander à votre gouvernement d’appuyer la proposition d’un amendement visant à inclure l’apartheid de genre dans le Statut de Rome de la Cour pénale internationale.
- Créer des groupes de travail parlementaires et adopter des résolutions parlementaires dédiées à la reconnaissance et à la codification de l’apartheid de genre aux niveaux national, régional et international.
Promouvoir la solidarité et le soutien :
- Mettre en avant les voix des défenseur.e.s afghan.e.s et iranien.ne.s des droits des femmes et qui dirigent la campagne mondiale End Gender Apartheid, notamment en les incluant dans tout débat ou événement lié à cette question.
- Collaborer avec les organisations internationales et les groupes de la société civile pour sensibiliser et plaider pour l’inclusion de l’apartheid de genre en droit international.
Assurer un suivi efficace :
- Demander la mise en place d’un suivi systématique des indicateurs permettant de révéler l’ampleur et l’impact de l’apartheid de genre, dans le cadre des ODD.
Actions parlementaires des membres de PGA
- Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe : Petra Bayr, députée (Autriche) et membre du Comité exécutif de PGA, a présenté une résolution adoptée le 26 juin 2025 exhortant « les États membres du Conseil de l’Europe qui sont parties au Statut de Rome de la Cour pénale internationale à envisager de proposer un amendement au Statut afin d’y inclure le crime d’“apartheid de genre” ».
- Pays-Bas : PGA a organisé en juin 2025 une table ronde pour la justice de genre en Afghanistan, réunissant des sénateur.ice.s néerlandais.e.s, des parlementaires afghan.e.s en exil et des expert.e.s afin de favoriser un dialogue sur la nécessité de mettre en œuvre le principe de responsabilité en matière de genre en Afghanistan et sur la reconnaissance de l’apartheid de genre.
- Parlement européen : des membres — dont Hannah Neumann, députée (Allemagne) et membre de PGA — ont déposé une motion pour résolution adoptée le 19 septembre 2024, invitant l’Union européenne « à soutenir la reconnaissance de l’apartheid sexiste en tant que crime contre l’humanité ».
- Canada : le 18 avril 2024, M. Ali Ehsassi, président du Conseil international de PGA, a présenté deux pétitions devant la Chambre des communes, au nom des femmes afghanes et iraniennes respectivement. Ces pétitions ont demandé aux institutions internationales la reconnaissance de l’apartheid de genre comme crime contre l’humanité en droit international, plaidant pour que les principes féministes et l’universalité des droits humains se reflètent dans le droit international existant et émergent. Les pétitions ont appelé les autres pays à adopter des politiques similaires.
- Royaume-Uni : en 2024, la baronne Kennedy of The Shaws LT KC, directrice de l’Institut des droits humains de l’Association internationale du barreau (IBAHRI) et membre de PGA, a mis en place une enquête parlementaire ad hoc sur l’apartheid de genre (disponible en anglais) afin d’examiner la question et d’encourager l’action gouvernementale.



