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Le Parlement Centrafricain adopte la loi portant sur la création d'une Cour Pénale Spéciale en République Centrafricaine

Le Conseil National de Transition (CNT) centrafricain qui a adopté à une grande majorité, le 22 avril 2015, la loi portant création d’une Cour Pénale Spéciale en République centrafricaine (RCA)
Le Conseil National de Transition (CNT) centrafricain qui a adopté à une grande majorité, le 22 avril 2015, la loi portant création d’une Cour Pénale Spéciale en République centrafricaine (RCA)

L’Action Mondiale des Parlementaires (PGA), félicite le Conseil National de Transition (CNT) centrafricain qui a adopté à une grande majorité, le 22 avril 2015, la loi portant création d’une Cour Pénale Spéciale en République centrafricaine (RCA). Ce vote intervient après l’adoption le 5 février 2015 en Conseil des ministres du projet de loi établissant cette Cour qui sera chargée d’enquêter sur les graves violations du droit international humanitaire commises sur le territoire de la RCA, notamment les crimes contre l’humanité, crimes de guerre et génocide. PGA salue ce vote qui constitue une étape importante dans la lutte contre l’impunité,  le rétablissement de l’Etat de droit en RCA ainsi que dans la stabilisation à long terme de la région des Grands Lacs. 

PGA tient à saluer le travail exceptionnel de son Groupe National en RCA, mené par Mme Béatrice Epaye et M. Gervais Lakosso, qui a joué un rôle majeur dans l’adoption rapide d’un texte essentiel pour le rétablissement de la paix en RCA. Au cours des semaines précédant le vote au CNT, PGA a appelé les Membres du CNT à adopter rapidement le projet de loi et leur a fourni une assistance technique afin que le texte final garantisse une Cour indépendante, juste, efficace et conforme aux standards du droit international.

Contexte

La RCA a été le théâtre de graves violations du droit international humanitaire depuis 2012 où des crimes contre l'humanité, crimes de guerre voire des actes de génocide ou de nettoyage ethnique auraient été commis. En décembre 2004, la CPI a ouvert une enquête sur la situation en RCA et a poursuivi Jean-Pierre Bemba, Vice-Président de la République Démocratique du Congo, pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre commis en RCA. En outre, au regard des événements récents, le Bureau du Procureur de la CPI a ouvert une seconde enquêtesaluée par PGA, sur les crimes qui auraient été commis depuis 2012. Dans les deux cas, les autorités de la RCA ont renvoyé les situations à la Cour, déclenchant ainsi ces enquêtes, et ont assuré leur engagement pour la justice. Cependant, la nécessité de rendre des comptes est encore immense et, étant donné que l'obligation de mener des enquêtes et des poursuites pour les responsables présumés des crimes internationaux les plus graves repose en premier lieu sur les autorités nationales, la création d'une Cour Pénale Spéciale est essentielle pour traduire en justice les auteurs de ces crimes, de façon complémentaire avec la CPI, qui, en raison de ses moyens limités, ne peut poursuivre que les principaux responsables de ces crimes. La Cour serait également bénéfique pour la RCA en ce qu’elle constituerait une structure juste et efficace au sein du système national centrafricain pour lutter contre l'impunité, qui serait uniquement consacrée à engager des poursuites pour les crimes internationaux les plus graves.

En avril 2014, une Cellule spéciale d’enquêtes et d’investigations a été mise en place par décret présidentiel juste avant qu’un mémorandum d’accord soit conclu en août de la même année sur la création d’une Cour Pénale Spéciale. Un comité composé d’experts nationaux et internationaux ont travaillé sur cette CPS en collaboration avec le Ministère de la Justice et la Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nations unies en Centrafrique (MINUSCA).

Une telle Cour est indispensable pour juger des atrocités commises actuellement en RCA. Le système judiciaire national n’ayant ni les capacités ni l’expertise nécessaires pour pouvoir mener à bien des enquêtes contre des criminels qui sévissent encore. La mise en place d’une juridiction fonctionnelle, qui poursuit, enquête et arrête aurait un effet dissuasif réel. Elle enverrait un message fort aux auteurs de crimes graves que l’impunité est révolue et qu’ils devront répondre de leurs crimes.

Composition, structure et fonctionnement de la Cour pénale spéciale

La Cour pénale spéciale sera compétente pour enquêter sur les crimes les plus graves qui touchent l’ensemble de la communauté internationale, à savoir les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le crime de génocide, commis sur le territoire de la RCA depuis 2003 (le projet initial prévoyait une compétence pour les crimes commis depuis 2012). La Cour sera composée de 27 magistrats dont 14 nationaux et 13 internationaux. Les Présidents des chambres seront également centrafricains et le Procureur spécial sera issu du personnel international. Elle sera intégrée dans le système judiciaire centrafricain pour cinq ans (renouvelable ensuite à nouveau pour cinq ans). Ces éléments garantissent un apport sur le long terme pour la justice centrafricaine, qui bénéficiera en particulier de l’expertise et du soutien international. La Cour se focalisera sur les crimes internationaux les plus graves et les experts et autres personnels internationaux devront disposer d’une expérience dans la lutte contre l’impunité dans ces domaines afin d’assurer l’efficacité du travail de la Cour.

La Cour se référant en grande partie au droit pénal national, il est essentiel qu’elle soit accompagnée de réformes du cadre légal national en matière de crimes internationaux, notamment à travers la mise en œuvre complète du Statut de Rome de la Cour Pénale International (CPI) auquel la RCA est Partie depuis 2001. De telles réformes sont indispensables pour mettre en œuvre de façon efficace le principe de complémentarité pour lutter contre l’impunité et pour rendre justice aux milliers de victimes des conflits armés chroniques en RCA.

En 2009, le Parlement de la RCA a modifié son Code de procédure pénale afin de mettre en œuvre les dispositions du Statut de Rome. Ainsi, le nouveau Code Pénal de 2010 définit les crimes punis par le Statut de Rome à savoir le crime de génocide, les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre (articles 152 à 162). Parallèlement, un Titre (Titre XIV) consacré à la Coopération avec la CPI est inséré dans le nouveau Code de Procédure Pénale. La crise politique qui a frappé la RCA peu après l’adoption de ces réformes a rendu impossible tant la mise en œuvre de celles-ci que de nouvelles initiatives législatives. La création d’une Cour Pénale Spéciale ne doit en aucun cas être perçue comme un organe entrant en conflit avec le cadre juridique interne existant mais au contraire comme s’insérant dans la continuité des réformes prises en RCA pour mettre un place un système judiciaire efficace.

L’adoption de cette loi est donc l’occasion pour les autorités centrafricaines de finir et compléter le processus législatif de mise en œuvre du Statut de Rome, puisque le code pénal et le code de procédure pénale centrafricain actuels contiennent quelques lacunes sur la définition des crimes de guerre et crimes contre l’humanité et sur les principes généraux du droit qui se trouvent dans le Statut de Rome (en particulier sur les droits de l’accusé), ainsi que sur la coopération avec la Cour. Ceci permettrait à la RCA de travailler en complémentarité avec la CPI qui a déjà ouvert deux enquêtes en RCA, à travers une coopération renforcée et une mise en œuvre efficace du principe de complémentarité, dont la Cour pénale spéciale est un des mécanismes les plus importants. Le travail complémentaire entre la Cour Pénale Spéciale et la CPI permettra aux deux instances de se répartir le travail dans un pays où de nombreux crimes ont été commis. La coopération entre les autorités nationales et la CPI n’en sortira que renforcée, ce qui placera la RCA comme un exemple à suivre en matière de lutte internationale contre l’impunité, notamment dans la région où par exemple la République démocratique du Congo n’a toujours pas réussi à établir un tel mécanisme (en effet depuis de nombreuses années, les diverses tentatives de créer une Cour ou des Chambres mixtes spécialisées ont échoué, la dernière en 2014).

Ainsi, pour renforcer l’impact de la CPS, PGA encourage le CNT à accompagner son adoption par des mesures complémentaires visant à assurer aux victimes une réparation adéquate au préjudice qu’elles ont subi, si besoin, par la création d’un Fonds spécial. En outre, au regard de l’insécurité régnante en RCA, le gouvernent centrafricain devrait également adopter des mesures spéciales visant à protéger les témoins. De telles mesures encourageront les témoins à participer aux procès, garantissant ainsi le bon déroulement des procédures.

PGA est toutefois inquiète de noter que le projet de loi créant la CPS adopté par le CNT ne contient plus de mention concernant la non-application des immunités devant la Cour. Le principe de non-immunité fait partie du droit coutumier international, qui se retrouve dès 1943 dans la Déclaration de Moscou et qui a été réaffirmé constamment depuis, en particulier par la jurisprudence des tribunaux internationaux, telles que la Cour International de Justice, les Tribunaux Pénaux Internationaux pour l’Ex Yougoslavie, la Cour Spéciale pour la Sierra Leone et le Rwanda et enfin la CPI dont le Statut de Rome clairement consacre ce principe. D’ailleurs en mettant en œuvre les dispositions du Statut de Rome, la RCA a clairement prévu que les personnes commettant des crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide ne peuvent bénéficier d’une immunité quelconque (art. 162 du code pénal). Afin que la Cour puisse effectivement mettre fin à l’impunité et assurer que les responsables des crimes internationaux soient traduits en justice, il est nécessaire d’assurer qu’aucune immunité ne pourra être opposée devant la Cour.

Alors que des crimes extrêmement graves continuent d’être commis en RCA, PGA appelle les autorités centrafricaines ainsi que la Mission multidimensionnelle intégrée de stabilisation des Nations unies en Centrafrique (MINUSCA) et les autres acteurs concernés à mettre en place le plus rapidement possible la Cour Pénale Spéciale. Maintenant que la loi portant création de la Cour a été adopté, celle-ci a besoin d’un personnel suffisamment qualifié mais également du soutien politique et des fonds nécessaires à son bon fonctionnement. Le Conseil de Sécurité des Nations Unies devrait veiller à ce que le soutien de la MINUSCA, notamment logistique et financier se déroule correctement.